Une quinzaine de jours plus tôt a été publié mon premier article pour Batailles & Blindés (au passage, merci aux éditions Caraktère !), consacré aux engagements des blindés lors de l'opération de la Baie des Cochons, du 17 au 19 avril 1961. Bien que portant sur une bataille de faible ampleur, outre son importance symbolique, celle-ci est passionnante de par sa richesse tactique : une opération amphibie et aéroportée, des opérations aériennes (voir le très bon article de Santiago Rivas dans Aérojournal n°47 à ce sujet), des opérations spéciales, des combats qui confinent parfois à la guerre hybride (entre les Brigadistas et les miliciens débraillés et mal armés). Elle représente de quoi grandement satisfaire à la fois les amateurs de wargames (avec figurine ou encore, les adeptes de SPBMT) et à la fois les passionnés de combats blindés méconnus.
En complément, ce qui suit offre quelques considérations sur la genèse de l'arme blindée cubaine après la Révolution. Je les ai concoctées à partir de multiples documents déclassifiés de la CIA (FOIA), ainsi que de nombreux témoignages de tankistes cubains parus dans la presse cubaine et de quelques éléments d'histoire officielle. Concernant les vétérans cubains (de la Révolution à l'Angola), si leur vision est fragmentée, perçue par le "bout de la lorgnette", elle n'en reste pas moins très informative au sujet de l'entraînement et des tactiques. En revanche, empreinte de propagande indigeste, elle est à considérer avec prudence en ce qui concerne le moral ou encore les commentaires sur la valeur de l'adversaire, les pertes infligées (et celles subies), etc... C'est d'ailleurs avec cette logique de nuance que j'ai rédigé l'article "Hasta la victoria siempre !". J'ai décortiqué les actions point par point tout en les considérant dans la globalité de la bataille. Au bilan, par exemple, à l'évidence aucun Sherman n'a participé à la contre-attaque. Ou encore, les chiffres des pertes blindées ne correspondent pas exactement à ceux avancés et répétés depuis plus de cinquante ans.
Bonne lecture et merci pour les commentaires sympathiques qui m'ont été adressés quant à l'article dans Batailles & Blindés !
La genèse de l'arme blindée castriste
Après
la fuite de Batista, les forces insurgées ont récupéré l'ensemble
des moyens blindés des gouvernementaux désormais déchus. Dans
l'inventaire établi par la CIA en novembre 1960 figurent 12 chars
légers M3A1, 7 chars M4A3(76)W, 15 nouveaux A34 Comet ainsi que 19
M3A1 Scout Car et une vingtaine d'automitrailleuses M8. Durant le
conflit entre le régime de Batista et les insurgés de tous bords,
la Havane s'est efforcée de développer son parc blindé : 8
autres Sherman
que lui refusent les Etats-Unis (étant estimé que l'armée
loyaliste serait incapable de les absorber) et les 15 Comet
reçus en décembre 1958. Par ailleurs, des contacts avaient été
pris avec l'Espagne pour l'acquisition de PzKpfw
IV
qui sont finalement vendus à la Syrie (peut-être via la Tchécoslovaquie) !
Par ailleurs, le Government
of Cuba
(GOC) songe à se procurer 6 chars légers M3A1 et 20
automitrailleuses M8 supplémentaires. Mais à l'instar des 8
Sherman, le projet n'aboutit pas. Le seul succès portera sur l'achat
de 28 T17 Staghound
par une délégation cubaine. Celle-ci se rend au Nicaragua le 1er
février 1958 où elle obtient les blindés précédemment cédés à
Luis Somoza1
par Israël. Vingt seront livrés au cours de l'année 1958.
Début
1959, la plupart des chars légers ne sont plus opérationnels, seule
une partie des M4A3(76)W fonctionnent ainsi que les Comet
et les Staghound.
Le 1er mai 1960, à l'occasion de la fête du Travail, défilent
notamment Sherman
et Comet.
Les liens qui se tissent avec les pays proches de Moscou, tout
spécialement la Tchécoslovaquie par l'entremise de l'URSS,
permettent à Cuba de recevoir du matériel lourd moderne dès le
mois de septembre 1960. Le 28 octobre est rapporté que 2 000
miliciens s'entraînent dans les environs d'une grande ferme de Pinar
del Río de concert avec quatre chars d'origine soviétique. En
novembre est estimé que Castro alignerait 40 chars moyens T-34/85,
10 canons d'assaut SU-100 et 60 transporteurs de troupes BTR-152 (en
réalité, ils n'ont pas encore été livrés) auxquels s'ajoutent
près de 600 jeeps dont une partie armées de mitrailleuses.
En
février 1961, l'estimation est affinée2
mentionnant un total d'environ 102 T-34/85 (que les Cubains nomment
fréquemment « Staline ») alors commandés ou attendus
pour 1961, 21 chars lourds IS-2M (que les Cubains appellent
« T-46 »), 50 SU-100 (désignés SAU-100) et 150 BTR-152
commandés. L'armement antichar est lui aussi considérable : 72
canons antichars M1943 de 57 mm (commandés), 78 canons de campagne
de 76 mm M1942 (sur 120) et 9 canons antichars de 85 mm D44 (sur 24).
L'infanterie profite quant à elle de quelques canons sans-recul (9
de 57 mm M18A1 et 4 de 75 M20) et surtout, de 28 M20 Super Bazooka
reçus des Etats-Unis entre 1957 et 1958 et de 68 autres M20 obtenus
en Italie. En toute logique, l'artillerie monte elle aussi en
puissance. Pour assurer la mobilité des pièces lourdes, des
tracteurs chenillés ATS-712 sont livrés. Début avril 1961, environ
35 000 tonnes d'armes sont arrivées à Cuba.
A
priori, les forces de Castro ne manquent donc pas d'armes. Cependant,
la Tchécoslovaquie annonce en mai 1960 des difficultés pour
produire l'énorme quantité de munitions destinées aux fusils
semi-automatiques M52 et pistolets-mitrailleurs vz. 26, aux
mitrailleuses de 7,92 mm ZB-53 (auparavant désignées vz. 37) et
pièces antiaériennes quadruples de 12,7 mm M53. Les besoins sont
considérables d'autant que s'organise la nouvelle armée depuis
janvier 1959. Le 09 août est dissoute l'armée de Batista, remplacée
par les Fuerzas
Armadas Revolucionarias
(FAR) qui compteront bientôt 32 000 hommes. S'ajoutent la Policía
Nacional Revolucionaria
(PNR ; quasiment une police militaire) de 9 000 hommes et en
octobre 1959, une milice populaire – la Milicia
Nacional Revolucionaria
(MNR) - de plus de 200 000 hommes ! Nombre de bataillons de la
MNR sont dotés d'un armement hétéroclite où se mélangent fusils
à répétition M1903 Springfield et fusils semi-automatiques M52. Il
faut donc songer à la standardisation au sein d'une même unité et
donc, des rééquipements pas toujours heureux3.
Mais le principal souci réside dans l'entraînement insuffisant
qu'accentuent les purges dans les rangs des militaires de l'ex-GOC.
Pour palier ce problème, des mesures ont été prises. Dès les
premières semaines de 1960, des Cubains se rendent en
Tchécoslovaquie, via des vols commerciaux, pour y apprendre le
fonctionnement des T-34/85 et SU-100. Leur tâche n'est pas des plus
aisés : aucun ne parle le Tchèque et plusieurs, notamment
parmi les membres des futurs équipages de SU-100, ne savent ni lire,
ni écrire ! Courant 1960, ces « étudiants » sont
une centaine : aviateurs, artilleurs et bien entendu des
tankistes. En août, leur nombre s'élève à environ 150.
A
Cuba, une école des chars est créée à Managua, non loin de la
Havane. Les équipages s'y familiarisent tout d'abord avec les
Sherman,
aidés par quelques rescapés des purges. Les meilleurs éléments
sont ensuite sélectionnés pour entamer les cours de formation sur
les T-34/85 et SU-100 attendus avec impatience. Enthousiastes,
vingt-cinq hommes se lancent dans l'aventure. Bien que rustiques et
dépassés au début des années 1960, les nouveaux blindés
représentent un bond en avant considérable par rapport aux vieux
Sherman
à bout de souffle. En février 1961, l'organisation des premières
unités s'achève. Elles sont aussitôt dispersées en différents
points considérés comme menacés : une compagnie à Isla de
Pinos4,
une dans l'Oriente et une à Pinar del Río. Dans la foulée sont
entamées les deuxième et troisième sessions de formation destinées
à trois nouvelles compagnies (deux de T-34/85 et une de SU-100).
Lorsque survient l'invasion de la Brigade
de Asalta 2506,
leur préparation est loin d'être terminée.
1 Président
nicaraguayen.
2 Grâce
au défilé du deuxième anniversaire de la Révolution cubaine.
3 Nombre
de miliciens, en particulier ceux qui se sont battus dans
l'Escambray contre les guérillas anti-castristes, sont mécontents
de devoir rendre leur FAL (désormais réservé à l'armée
régulière) remplacé par un M52 généralement peu apprécié.
4 Aujourd'hui
Isla de la Juventud.
Bonjour,
RépondreSupprimerBravo, il s'agit d'un très bon article, bien traîté et sur un sujet original
Avec mes cordiales salutations
AF
Bonjour,
RépondreSupprimerMerci de votre sympathique commentaire !
Bien cordialement,
Laurent Touchard
J'ai écrit un commentaire depuis un pc mais il ne semble pas passé. La présence de chars britanniques a Cuba m'a surpris. J'ai mit votre article en référence sur ceux concernant l'armée cubaine et le Comet sur le Wikipedia.
RépondreSupprimerFrédéric,
SupprimerPour ce qui est des Comet à Cuba, ils sont livrés en décembre 1958 et quelques-uns auraient pris part à la bataille de Santa Clara. Mais ce point est contesté (dans les faits, les Comet paraissent n'avoir eu qu'un rôle très symbolique).
Concernant la photo, elle est une des rares (à ma connaissance il n'en existe que deux) à montrer un Comet durant la Révolution cubaine.
Merci de votre intérêt et d'avoir relayé mon article !
Bien cordialement,
Laurent Touchard
Message parti trop vite. Pouvez-vous reformuler plus clairement la phrase concernant les Panzer IV ? Quel est le paus vendeur ? Il s'agit bien de la Tchécoslovaquie ?
RépondreSupprimerBonsoir,
SupprimerVous avez raison, j'ai omis quelques mots. Au temps pour moi. Il faut donc lire (et je vais corriger en conséquence) : "Par ailleurs, des contacts avaient été pris [avec l'Espagne] pour l'acquisition de PzKpfw IV qui sont finalement vendus à la Tchécoslovaquie puis à la Syrie !"
Mais... il y a des éléments "nouveaux".
Vous savez certainement que l'affaire des Panzer IV syriens est confuse. Selon les sources, il est indiqué que des Panzer IV espagnols (17), français et tchèques sont livrés à la Syrie à partir de 1955 ou encore que les Panzer IV syriens proviennent exclusivement de Tchécoslovaquie (suite à des accords signés en mai- juin 1956)... Difficile de faire la part des choses.
J'ai également trouvé des bribes d'informations quant aux Panzer IV espagnols qui, faute d'avoir été acquis par le GOC, l'auraient finalement été par la Tchécoslovaquie (qui retire ses Panzer IV localement désignés T-40/75N et T-42/75N entre 1955 et 1956, mis en réserve jusqu'en 1959) afin de les reconditionner avant de les livrer à la Syrie... Mais des témoignages qui m'ont été adressés ces jours tendent à prouver que les Panzer IV espagnols ont été directement cédés à la Syrie, sans passer par la "case" Tchécoslovaquie...
Selon d'autres sources encore, les Panzer IV ex-espagnols (retirés du service en 1954 ou 1956 selon les sources) achetés par la Syrie seraient ceux convoités par le GOC car en bien meilleur état que ceux ex-tchécoslovaques... D'où - peut-être ? - la confusion avec l'achat de Panzer IV "espagnols".
Bref, c'est le flou artistique le plus absolu. J'en profite néanmoins pour préciser la phrase que vous évoquez.
Bien cordialement,
Laurent Touchard
Il faudrait que je retrouve le document dans lequel sont mentionnés les contacts pris avec l'Espagne pour les Panzer IV. A l'occasion, donc. Dans tous les cas, je ne manquerai pas de le mentionner ici.
SupprimerJ'ai tenté d'écrire depuis mon pc. Je ne sais si le message est passé donc tentative depuis le portable.
RépondreSupprimerJe sais qu'il ne faut s'étonner de rien en matière de commerce des armes mais il me semble curieux que l'Espagne franquiste passe par la Tchécoslovaquie communiste pour ce type d'affaires.
Bonjour Frédéric,
SupprimerLe commentaire m'est bien parvenu. Etant bien occupé par ailleurs, le délai est de mon fait et je m'en excuse.
Concernant votre remarque, elle est très juste. Comme vous l'indiquez, il ne faut s'étonner de rien (exemple parmi tant d'autres, les munitions et pièces de rechange livrées à l'Iran par les Etats-Unis par l'entremise d'Israël et d'autres intermédiaires lors de la guerre Iran-Irak), mais la piste des Panzer IV ex-espagnols acquis par la Tchécoslovaquie avant d'échouer en Syrie apparaît peu probable.
Bien cordialement,
Laurent Touchard
En effet. Mais les années 40/50 ont connu des affaires de trafic avec les surplus de la Seconde Guerre mondiale assez rocambolesques. La livraison d'armes et d'avions a Israël par la Tchécoslovaquie lors de son indépendance on fait le bonheur de plusieurs autobiographies plus ou moins authentique a l'époque :)
RépondreSupprimerBonne continuation.